La pensée stratégique comme un puzzle 🧩
- Claudia Loutfi
- il y a 1 jour
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 1 heure
Si, comme moi, tu aimes les puzzles, cette façon d’aborder la pensée stratégique devrait te plaire.
Avant d’aller plus loin, petite confession : penser stratégiquement, c’est dur. On nous demande d’aligner des ressources, des parties prenantes, des dynamiques systémiques, de l’innovation, de la vision future… tout ça en gardant la tête froide et le cœur ouvert. C’est presque de la magie.
Et, en quelque sorte, ça l'est. Parce que la pensée stratégique s’appuie souvent sur l’intuition, cette petite voix qui dit : « Je sens qu’on devrait aller par là », même quand les mots ou les chiffres tardent à suivre.
Certaines personnes naviguent avec cette intuition comme un radar intégré. Et tant mieux pour elles ! Moi, j’ai besoin d’un cadre pour organiser le chaos créatif. Alors j’ai développé un outil simple (pas parfait, mais utile) pour structurer ma réflexion stratégique. Ce n’est pas un outil pour « trouver la stratégie parfaite ». Il permet d'apprendre, d'ajuster et de se poser de meilleures questions. Je l’ajuste selon les contextes ou les besoins et, parce que ce n'est pas un outil parfait, je t'invite à en faire autant !
Disclaimer : C'est pas un « framework certifié Harvard-McKinsey-Ninja ». C’est un mélange de modèles et de pratiques vues ici et là, distillées avec intuition.
L'outil : un puzzle visuel pour réfléchir autrement
Imagine un losange composé de 4 blocs de réflexion superposés :

Clarté stratégique : la capacité à définir des objectifs clairs et à aligner les actions sur ceux-ci pour renforcer la cohérence et la performance.
Pensée innovante et critique : la capacité à remettre en question les présupposés, à générer des idées nouvelles (lateral thinking) et à évaluer la fiabilité des sources d’information et la logique des raisonnements.
Analyse temporelle et prospective : anticiper les scénarios futurs, intégrer l’apprentissage du passé et ne pas se limiter à une vision court terme.
Perspective systémique : la compréhension des interconnexions et des effets de retour dans l’organisation, souvent appelée « systèmes thinking » dans la littérature scientifique.
À leurs jonctions, on retrouve des éléments essentiels :

Entre Clarté et Innovation, leviers et avantages : là où on use de créativité pour utiliser nos forces comme de puissants leviers. On identifie ce qui nous rend uniques et comment l’utiliser intelligemment pour répondre aux besoins du terrain.
Entre Innovation et Prospective, adaptabilité et résilience : soit la capacité à s’ajuster de façon dynamique aux changements et rebondir face aux incertitudes.
Entre Prospective et Système, opportunités et tendances : là où on saisit les occasions inattendues et on écoute les besoins tout en restant aligné avec la stratégie globale
Entre Système et Clarté, collaboration et partenariats : soit l'intention de mobiliser différentes expertises et partenariats pour renforcer la richesse des analyses et décisions.

Et au centre, là où tout se rencontre, émerge une pensée stratégique lucide, ancrée et généreuse. Une réflexion qui cherche sincèrement à offrir au monde ce dont il a besoin, tout en restant fidèle à qui on est, à nos forces et à nos limites.
Le centre de ce puzzle, je le vois comme un « qui » pleinement conscient, éclairé par un « pourquoi » nourri par tout ce qui l’entoure : le terrain, les signaux faibles, les tendances, les alliances possibles, nos capacités réelles et nos aspirations profondes.
Une pensée qui ne s’impose pas, mais qui observe, écoute, relie et ajuste. Une pensée humble, enracinée et tournée vers l’action. Ce puzzle est certainement inspiré de la notion « product-market fit » : cette recherche itérative à trouver ce point de rencontre délicat entre ce qu’on veut contribuer, ce dont le monde à besoin et ce qu’on est réellement capable de porter.
Comment l'utiliser
Je l’aborde comme un sudoku stratégique :
une idée débloque une autre,
qui éclaire un coin du puzzle,
qui révèle une pièce cachée ailleurs,
jusqu’à ce que… click, ça se tisse.
Ce modèle ne dit pas « Voici la réponse ». Il dit « Observe. Relie. Ajuste. Apprends en marchant ». Ça demande de l’humilité, mais ça révèle souvent des « oh wow, on n’avait jamais vu ça comme ça ». Et ça, c’est magique !
Évidemment, les termes que j’utilise reflètent mon expérience et les projets que j’ai accompagnés. Je ne vois pas ce modèle comme une recette, mais une structure adaptable :
tu peux modifier les mots, ajuster les blocs, réorganiser les axes selon ton contexte. Ce qui compte, c’est le mouvement de réflexion, pas la terminologie parfaite.
Pourquoi ça m’aide (et peut-être vous aussi) ?
On nous répète souvent de commencer par son « pourquoi ». Je suis d’accord… et avant même d’y arriver, ce puzzle invite à prendre un pas de recul : pas seulement se demander qui je suis et pourquoi je veux agir, mais aussi « de quoi mon écosystème a-t-il réellement besoin ? », « comment mes forces peuvent-elles contribuer à ce besoin ? ».
Ces questions ne sont pas les seules du modèle, mais elles donnent le ton : regarder autour avant de regarder en soi. Sans ça, on risque de glisser vers ce que j’appelle un « vanity project social », une initiative portée par nos envies, mais déconnectée du terrain.
Don’t get me wrong : je suis convaincue qu’on peut définir un « pourquoi » légitime, ancré et inspiré en écoutant ses envies et sans passer nécessairement par cette réflexion. Et souvent, c’est grâce à une intuition fine, nourrie par l’expérience. Je me permets une petite anecdote pour appuyer ce point :
Quand je travaillais dans le monde startup, les innovations les plus solides ne venaient pas du cliché du jeune prodige de 22 ans. Elles venaient majoritairement de personnes avec 10, 20, 30 ans d’expérience. Des personnes qui avaient absorbé un secteur pendant tellement longtemps qu’elles en comprenaient les tensions, les besoins et les opportunités. Leur intuition en devenait… chirurgicale. Cette intuition nourrie par l'observation lente et granulaire de son contexte est une forme de pensée stratégique implicite et intangible.
Mais tout le monde n’a pas encore 25 ans d’immersion dans son domaine. Ce modèle sert alors de raccourci : il aide à observer, questionner, structurer et faire émerger un « pourquoi » conscient, ancré et réaliste en encourageant à :
être attentif aux signaux faibles,
écouter avec curiosité son écosystème,
tisser des liens forts et intentionnels,
et s’ouvrir au « lateral thinking ».
Bref, l’intuition et la passion sont essentielles, mais pour bâtir quelque chose de soutenable, notre « pourquoi » gagne à s’ancrer dans le réel : dans les besoins, les limites et les dynamiques de notre environnement.
Pourquoi ne pas utiliser les modèles déjà existants ?
Bonne question ! Parce que c'est vrai qu'on ne manque pas d’outils : BMC, Impact Gaps Canvas, Théorie du changement, CCRABE, etc.
Je les apprécie et les utilise, même ! Car ils peuvent être complémentaires. Mais souvent, ces modèles nous poussent (même subtilement) à commencer par notre idée, puis démontrer qu’elle est pertinente dans un écosystème. Or, je crois que la démarche devrait parfois être inversée, soit identifier ce dont l’écosystème a réellement besoin et l'allier avec l'exploration de nos forces, ressources, limites et alliances. Autrement dit : reverse-engineer le « pourquoi », plutôt que le défendre.
De plus, dans ce modèle, les éléments ne sont pas des colonnes indépendantes.
Ils sont interdépendants. Par exemple, une force identifiée entre clarté stratégique et pensée innovante peut éclairer :
une opportunité émergente,
un partenaire naturel,
un angle de collaboration,
une stratégie de mobilisation.
Ça devient un jeu : on explore, on connecte, on découvre. Et une fois la pensée claire, on peut la traduire en stratégies marketing, de mobilisation, partenariales, d'expérimentation, etc.
Les stratégies comme « add-ons »
Une fois que le fond est clair (les besoins réels, les forces , le contexte, etc.) les stratégies ne sont plus des décisions isolées. Elles deviennent plutôt des add-ons cohérents qui s'alignent naturellement :
Positionnement et communication
Stratégie de mobilisation
Modèle de tarification et stratégie de financement
Stratégie partenariale
Gouvernance et gestion
Développement organisationnel
Innovation et expérimentation continue
Ce modèle, tout comme l'intuition, ne garantit pas une stratégie parfaite (et ce n’est pas son rôle). Ce qu’il fait très bien, par contre, c’est offrir un cadre pour apprendre plus vite et plus intelligemment. D'ailleurs, une philosophie implicite aussi de ce modèle invite à voir chaque stratégie comme une hypothèse et chaque mise en action, une expérimentation.
En résumé (pour les pressés, je vous vois 👀)
En fin de compte, penser stratégiquement, ce n’est pas chercher la réponse parfaite. C’est apprendre en marchant : observer, relier, tester, ajuster.
Ce modèle n’est pas là pour valider nos intuitions, mais pour les mettre en dialogue avec le réel : ce que le contexte demande, ce que les acteurs vivent, ce que les ressources rendent possible. C’est une façon de construire des stratégies vivantes, ancrées, qui évoluent au rythme du terrain. Pas dans l’idéal, mais dans le vrai.
Et le visuel ? C’est juste une carte mentale pour se rappeler de penser large, profond, humble… et ensemble.